I. Les flammes rampantes...

Je ne vis que pour détruire...

La dernière éruption du Volcan m'a vomi, dans un accès de rage propre à la terre et au feu qui m'ont enfanté. Des gerbes de flammes, de cendres et de roche en fusion ont jailli de la Bouche de l'Enfer, et lorsque la lave s'est retirée, pareille à la mer à l'heure de la marée, j'étais là.

Façonné par le magma sans âge, bercé par le grondement de cette montagne emplie de flammes, craché par la Terre qui ne voulait plus de moi en son sein... Je suis un être de destruction à l'état pur conçu par les forces chtoniennes de la Nature dans son humeur la plus chaotique. Ma peau écailleuse rougeoie faiblement dans la nuit sans lune qui a vu ma naissance, mes yeux reptiliens s'ouvrent et claquent avec un chuintement humide tandis que je m'éveille à mon monde, le combustible à mon souffle enflammé et à ma soif de mort et de désolation. Autour de moi, des amas de roches soufflés par le volcan réveillé pour l'occasion, des coulées de lave pourpre barrant en d'écoeurantes cicatrices le sol noirci par le feu... Pas un arbre, pas un être vivant. La destruction a déjà accompli son oeuvre. Je plisse les yeux, j'observe les alentours.

"Putain mais c'est la zone! "

Frustré d'être tombé dans un bled aussi mortel, je donne un vigoureux coup de pied dans un caillou qui avait la malchance d'être à ma portée. Je me ruine bien évidemment une phalange, et tandis que je sautille en me mordant la langue pour ne pas crier, j'entends un "poc" sonore, puis quelques minutes plus tard une floppée d'injures beuglées par une voix féminine relativement stridente.

Je m'assieds lourdement, massant mon orteil endolori et, comme dans toute bonne histoire qui se respecte, j'attend le futur protagoniste

J'ouvre les yeux, je sens une odeur étrange...comme...comme...du cochon un peu trop grillé... je réfléchis un instant, mon visage picote...

Je me lève d'un bond, en tentant tant bien que mal d’éteindre le feu naissant dans mes cheveux… rabattant ma capuche pour couvrir l’incendie je me vautre lamentablement sur la seule robe à des kilomètres à la ronde, la mienne.

Je me relève en lâchant un chapelet d’injures :

« Bon sang de bois, mais non des culs !!! C’est pas vrai !!!!!!rhaaaaa fichtre ! »

Je reste courtoise malgré la situation, ma mère dit souvent : « bordel ! Ça soulage !.. »
Mais j’ai appris à mes dépends que cela ne fais guère progresser la situation… encore moins si l’on insulte le dieu potentiel présent lors de ce soulagement…

C’est néanmoins fortement désappointée que je remercie le dieu potentiellement mort de rire de porter une robe +20 contre le feu.

Je me relève donc, et c’est avec les sourcils roussis que je décide de faire quelques pas.

J'attend longuement l'apparition de la femme que j'ai normalement étourdie de mon projectile mal ajusté. La douleur à mon pied se calme. Pourtant, manquant à la plus élémentaire des courtoisies, ma victime ne daigne même pas venir se présenter à moi en m'agonisant d'injures diverses. Je suis un peu déçu, d'autant qu'après avoir entendu sa tirade, je la juge plutôt douée.

"Rhaaa faut tout faire soi-même, ici", grogné-je, agacé.

Je me lève, secoue mes écailles pleines de suie pour reprendre une apparence à peu près digne d'un beau mâle Salamandre comme moi (et encore, je suis modeste), et me dirige à l'oreille vers la provenance de ces cris blasphématoires adressés à une quelconque divinité sûrement pliée de rire par la situation, bien planquée dans son nuage.

J'ai d'abord l'impression de voir des flammes danser tellement sa chevelure est rousse et flamboyante... Non, en fait c'est une figure de style, je ne suis pas assez débile pour confondre un tas de poils rouges avec des flammes, faut pas déconner. Mais j'aime bien dire les choses joliment, un caractère de la noble race des Salamandres, je suppose... Bien que "noble" ne me paraisse pas le mieux approprié des adjectifs pour qualifier mon espèce. Des mots comme "brutale", "barbare", "gravement névrosée" ou "parfaitement décadente" eussent bien mieux convenu, mais enfin...

Je descends négligemment la pente de la montagne, sans chercher à dissimuler ma présence. Pourtant, le petit bout de femme qui me fait face est en fait en train de me tourner le dos et se dirige vers la direction opposée. Soit elle ne m'a pas vue, soit elle a un rendez-vous plus urgent que rencontrer un magnifique spécimen de créature du Chaos... soit c'est moi qui emet cette répugnante odeur de cochon grillé qui flotte dans l'air.

Je renifle sous mes aisselles. Non, ce n'est pas moi, apparemment. Je fronce les sourcils, un peu vexé, et accélère la cadence. Bientôt, je suis derrière elle et je pose une main négligente sur son épaule

Je m’arrête.

J’ai deux solutions.

Je cours sans me retourner. Je hurle comme une possédée.

Etant données mes remarquables capacités à m'échouer sur le premier gravier venu…
Je pose la main sur la chose sur mon épaule en essayant de la faire passer au-dessus de mon épaule comme dans les films…

Vaine tentative me diriez vous…certes…la bête est bien trop grosse.

Pitoyable échec.

Je me rabats donc sur ma première idée à savoir :

«AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaah !!!!!!!! »

Ai-je une chance de lui avoir crevé les tympans ?

après tant d’ardeur au combat je me resigne.

« aaaAAh ? »

Aïe.

C'est qu'elle crie fort, la greluche. Heureusement que je n'ai pas d'oreilles, je crois que je les aurais bouchées. Mais les vibrations de sa voix me rappelant vaguement un mélange entre la foudre et un bout de métal crissant sur du verre ont quand même atteint mes conduits auditifs.

Elle a l'air paralysée et n'ose se retourner. J'avoue ne pas avoir compris quand elle a saisi ma main et a tiré dessus... C'était un geste de salutation humain? Ma culture n'est pas très développée sur ce point là (sur d'autres aussi d'ailleurs, mais vous aurez tout le loisir cher lecteur de me considérer comme un inculte plus tard).

Je retire ma main, apparemment ça ne lui a pas plu. Elle a l'air plutôt crispée, le cou rentré dans les épaules et les dents serrées. Elle n'ose toujours pas se retourner. Je soupire, lève les yeux au ciel et me demande si ma malchance habituelle ne m'a pas à nouveau réservé une surprise, comme rencontrer en tant que premier être vivant aperçu le spécimen le plus froussard et stupide de cette foutue planète.

Je pose doucement mes doigts sur ses épaules crispées, et entame un va-et-vient au niveau de ses muscles tendus comme un arc utilisé par un Troll. Je la masse, sans aucune idée derrière la tête. Enfin, si, quand même, je suis un mâle... Mais disons que j'ai assez de délicatesse (encore un mot peu connu parmi mon peuple) pour ne pas trop le montrer.

"ah ouais...là...là...juste un peu à gauche... "

Mais c'est qu'elle me prendrait pour son kiné cette minette!

Bien, qu'il en soit ainsi, je prends mon mal en patience et obéis aux instructions de cette psychotique rouquine. Elle a l'air plutôt contente de mes soins, et semble au bord de l'extase...

C'est moi où elle bave là?

Je détourne chastement les yeux, préservant dans mon esprit la classe et le panache féminin (qui ne doivent pas trop l'étouffer apparemment). Je poursuis un peu mon massage, effleure des endroits n'ayant pas forcément besoin d'être massés grâce à mes longs doigts et, le cou et le dos tendus à fond, je me prépare à m'écarter si la demoiselle que je ne vois que de dos depuis ma rencontre avec elle juge mes manières trop cavalières et m'exprime physiquement son mécontentement.

En clair, je me prépare à esquiver une probable baffe dans ma gueule.

Pas si mal que ça cette journée finalement...

Mais un doute me ronge...

Je ne me souviens pas de grand chose là c'est vrai...enfin pas depuis ...depuis...ouille...ma tête.

Je n'ai jamais entendu dire, en fin je crois... que les robes + 20 contre le feu avait une fonction massante...

Le doute germe et ses branches titillent les pieds de ma conscience...

Je me retourne brusquement.

"Je le savais... je ne l'ai pas payée assez cher pour la fonction massante "...

J'observe de haut en bas le...la...la béte.

"J'ai pas mon bestiaire sur moi...vous êtes? "

Je jette un regard excédé à la donzelle. Cette jeune génération, ça se dit grands étudiants en magies et thaumaturgies diverses, et ce n'est pas foutu de relire ses cours de tératologie (science des monstres, pour les incultes... finalement, j'ai quelques souvenirs de mes cours de magie dans le Noyau).

Je lève la main, une boule de feu s'en échappe. Si elle n'est pas trop nulle, elle devrait imprimer rapidement que je suis un élémentaire de feu. Pourtant son regard vide ne s'éclaire d'aucune lueur de compréhension.

"Je récapitule, soupiré-je. Je suis grand, j'ai une tête de lézard, le corps qui va avec, des pouvoirs cosmiques phénoménaux sur le feu en général, et au cas où tu ne trouverais pas rapidement à quel nob... à quelle intéressante espèce j'appartiens, je tiens à signaler que j'ai autant de patience que de matière grise entre les deux oreilles d'une gamine rousse aux yeux bovins de ma connaissance, dont je tairais le nom par pure charité, et aussi parce que je ne le connais pas encore... "

Je la regarde. Elle n'a pas l'air d'imprimer.

Je fais un tour sur moi-même, fais jaillir un petit volcan à mes pieds.

Elle imprime pas.

Je grogne, puis me présente enfin du bout des lèvres.

"Kaev, Salamandre, invoqué pour vous servir, maîtresse. "

J'ai horreur d'être invoqué, mais malheureusement les élémentaires n'ont pas trop le choix, ils lâchent tout ce qu'ils sont en train de faire et se laissent aspirer par le vide astral pour attérir aux pieds d'un mage mégalo qui veut réduire en cendre la tête du mage mégalo en face. Et bien entendu, comme c'est de la magie, on n'a rien le droit de dire.

Pourtant, plus je regarde la greluche (décidemment, ce nom me plaît, je crois que je vais l'appeler comme ça), plus je me demande comment une apparente cruche qui doit à peine être en deuxième année de maléfices appliqués a pu invoquer un beau mâle viril comme moi. J'ai l'impression qu'elle est à peine capable de balancer un projectile magique, cette gosse. Pourtant, les flux magiques sont formels, c'est elle qui m'a appelé.

Le mystère plane. Elle me veut quoi, la greluche, et pourquoi elle a l'air étonné de me voir?

Je le regarde.

Je le regarde encore...on sait jamais des fois qu'il s'évapore dans un nuage de fumée...

J’avance un doigt vers lui et touche ce qui j'espère correspond bien à son ventre...

"Ah ouais...quand même. J’en ai fait des bourdes dans ma vie, je le reconnais mais alors celle là... écoute mec...heu...monsieur Salamandre... "

un doute, encore un...
"Eh!!! c'est toi qui m'a assommée??? "

Je croise les bras.

"MOI! Enki je t'invoque...par hasard sûrement... involontairement en tout cas... à moins que j'ai vraiment pu... non redescend sur terre Enki, c'est comme le coup de l'invocation du démon...à moins que je... "

Il me regarde,il a pas l'air commode. je me reprend.

"Oui,...heu...je disais... MOI! Enki! Je t'invoque et toi tu m’assommes?? C’est pas la reconnaissance qui t’étouffe ! »

....

"Tu sais pas pourquoi tu es là par hasard? "

Dites-moi que je rêve. C'est la pire des mages qui m'ait jamais invoqué!

Je presse mes doigts contre mes tempes, et entreprend de me masser le crâne pour me redonner une humeur zen, avant que je ne décide de lui roussir la gueule.

Donc, j'ai assommé cette morveuse avec mon caillou. Elle n'a pas la tête bien solide, c'est toujours ça de gagné, avec du bol je lui fais tomber par maladresse un arbre sur le crâne, ça passe pour un accident et je peux retourner tranquille peinard lire mon journal avachi dans mon fauteuil favori.

Bon, pour résumer, la greluche, qui s'appelle Enki, m'invoque, je l'assomme par mégarde, elle se réveille, insulte copieusement quelques minutes plus tard un dieu quelconque pour sa malchance, puis me voit et en est toute étonnée.

Elle a l'air au moins aussi paumée que moi. Avec sa tignasse rousse et ses yeux globuleux elle me fait penser à une souris effrayée. Pas que les souris soient rousses, mais elle ont la même texture de poils que sa chevelure, à peu près.

Enfin, je soupire:

"Non, je ne sais pas ce que je fais ici. Je n'ai pas pour habitude de demander plus de détails lorsqu'on m'invoque, en général je débarque, je crâme la tronche de la bestiole qui embête celui qui m'a invoqué, et je repars sans un merci de la part du clown en robe qui m'a invoqué qui se croit très puissant d'avoir réussi à vaincre un ennemi grâce à ma présence.

Il me semble que c'est vous qui portez la robe de mage, dans l'hisoire, alors je crois que c'est à vous de m'expliquer ce que je peux bien foutre ici... "

« C’est moi qui aie la robe, oui…oui, donc c’est moi qui porte la culotte … »

...

Attend un instant…

Je suis sure de ça ?

Je remue discrètement…

Ouais… c’est bon …c’est déjà ça.


« Oui, donc…c’est à moi de répondre…heu… "

" j'en suis ou? ah oui... tu m’as ASSOMMEE avec une pierre!!! Pauvre type !!!!!! »

Je me masse le cou, le regarde furieuse et me calme aussitôt des fois que l’idée lui reprendrait volontairement…

« Ca fait mal… Alors va me falloir un peu de temps pour me souvenir ce que je fais là… et ce que tu fais là…et pourquoi je suis venue jusqu’ici…et comment j’ai fait…et ce qu’il faut que je fasse…et comment on sort…tu as pas à manger par hasard ? »

Je résiste à une profonde envie de lui enfoncer deux doigts enflammés dans les narines, juste pour voir comment ça fait une greluche braisée... Je souffle, j'inspire, je souffle, j'inspire. Reste zen, Kaev, reste zen, si tu détruis encore un de tes invocateurs tu vas avoir des ennuis avec le syndicat...

Je pose un regard légèrement noir sur elle, grogne, puis finis par m'incliner.

"Je vous présente mes plus plates excuses pour vous avoir envoyé cette pierre dans la tête... "

..sans pour autant vous avoir tuée sur le coup, finis-je mentalement. J'avoue qu'elle arrive à me faire perdre mon calme, rien qu'à voir son visage déconnecté de la réalité, elle m'énerve. Si je n'étais pas un gentleman, je lui mettrais ma main sur la gueule. D'ailleurs, je ne suis pas un gentleman. La tentation est forte... Mais je me retiens, malgré tout.

Pense à ton salaire à la fin du mois, pense à ton salaire à la fin du mois...

Enfin, je me redresse, je tends négligemment le bras vers les fourrés et une langue de feu en jaillit, transperçant les feuillages, et s'enroule autour d'un sanglier qui hurle de terreur. Je ramène ma proie, la flambe sans ménagement pour lui enlever les poils et la saleté, coupe à coups de griffes les parties non comestibles de la bestiole et, la maitenant en l'air d'une mains, je la fais tourner le corps au-dessus d'une flamme jaillie de ma paume tendue. L'odeur de cochon grillé flotte à nouveau dans l'air, mais cette fois ci on sait pourquoi.

Je la regarde.

"A point, ou saignant? "

Je crois…oui...je crois que je peux le dire sans me tromper... il est pas heureux.

J’ai peut être un peu trop forcé sur les décibels….

Alors je vais faire un effort…

Et je ne vais pas lui dire que je suis végétarienne.
Je vais lui faire mon plus beau sourire et accepter gentiment en évitant de lui vomir dessus… du moins tout de suite.

« Bien grillé, j’aime pas trop la vue du sang. »

Sourire.
Il n’a pas l’air de s’en émouvoir…

Sourire.

…

Crampe.
Ok, j’abandonne il est aussi sensible qu’une brique.

Vais manger ça m’évitera de dire une connerie.

« hum……..super….heu...bon. merci. »

Mâche, avale...

“Au moins tu sera pas venu pour rien! »

Trop tard pour la connerie.

Ca y est, là je suis en rogne. J'évite de la regarder, je mastique consciencieusement mon bout de viande et je passe en revue les différentes méthodes de torture que je connais adaptées à une anatomie féminine. J'en trouve plein, ça me remet un peu de baume au coeur... A la première erreur, comme un mot de libération ou autre, je lui pourris la gueule.

Je tente un coup d'oeil vers elle. Elle considère sa pitance avec une moue dégoûtée. Quoi, elle veut de la mayonnaise en plus? Y'a pas écrit Jean-Pierre Coffe non plus sur mon front...

Par les flammes de l'Enfer, ce qu'elle m'énerve... Elle a essayé de me charmer par son plus beau sourire (aussi attirant qu'une boîte de dragées Fuca), que j'ignore superbement. Je ne suis pas là pour faire ami-ami avec le patronat, faut pas exagérer. Jouer le masseur, ok. Se faire prendre pour une buse, passe encore. Faire le cuisinier pour une fine bouche, à la rigueur. Mais accomplir tout ça dans la joie et la bonne humeur, youpi youplaboum et youkaïdi, non, faut pas pousser.

Enfin, nous finissons de manger, je garde les mains dans mon dos pour ne pas les serrer autour de son cou et je demande d'un air que je m'efforce de rendre le plus humble possible:

"Bon, on fait quoi maintenant? "

« Il y a une limite de temps à ce que tu sois à mon service ? … parce que sinon je propose qu’on se casse d’ici... on se trouve une bonne taverne… et on attend que je me souvienne… »

Je le regarde…il a vraiment mais alors vraiment pas l’air heureux.
Un effort.

« Je …suis désolée de t’avoir hurlé dessus… et de t’avoir invoqué aussi… on est parti sur de mauvaise bases …et je me suis même pas présentée… »

Je me lève et m’incline un peu… ça va peut être le calmer.

« Je suis Enki-o-shaolante… heu, pitié me demande pas ce que ça veut dire et évite les jeux de mots foireux aussi… »

Je commence à partir juste pour voir s’il me suit…
ouais. C’est bon…

« Tu as pas vu une chaussette par hasard ? »

Il faut lui reconnaître ça, elle essaie de me mettre à l'aise. Je ne suis pas du genre à me retrancher dans ma haine des humains et à leur baver dessus à coup de "pitoyable mortel, comme oses-tu m'invoquer, moi, le puissan Gurlanshez'ti'yyk, Archiprince des Diables des Abysses Insondables du Chaos Originel des Sombres Souterrains Labyrinthiques de Morgen-Dûl-Garz" comme certains de mes collègues qui ont eu une promotion et se baladent à bord de superbes caisses chromées dernier cri, tout ça parce que leur beau-frère connaît le neveu de la concierge du grand patron.

J'esquisse un vague sourire et je lui emboîte le pas. Je ne saisis pas très bien ce qu'elle entend par "chaussette". Je me demande vaguement si ce n'est pas le bout de tissu d'une couleur hideuse cousu en sac que je vois dépasser de sa poche, mais je m'abstiens de tout commentaire. Avec un peu de bol, on partira à la recherche de la chaussette perdue, une quête tranquille pour une fois, sans gobelins à carboniser ni nécromants à ravager.

"Pour répondre à votre question, maîtresse... Pour me renvoyer, vous devez prononcer les mots mystiques adéquats, qui sont si je me souviens bien au dos du parchemin que vous avez utilisé pour m'invoquer. Du moins, j'espère que c'était un parchemin. Parce que si vous avez paumé le parchemin en question, ou si vous avez inventé la formule, je suis lié à vous pour l'éternité... "

Je frissonne à cette pensée. A jamais au service de cette greluche... Surtout qu'elle n'a pas l'air de savoir où elle a pu ranger le parchemin d'invocation, apparemment... Si parchemin il y a.

Ma gorge se serre, je prends sur moi et m'approche d'elle. Sans lui demander son avis, je la soulève, la dépose sur mes épaules et m'éloigne au petit trot de ce volcan, à la recherche de la taverne la plus proche oùje pourrais m'imbiber assez pour oublier mes malheurs, ou bien avoir une excuse valable pour l'avoir transformée en torche humaine (l'autre manière de me renvoyer étant de tuer mon invocateur, mais autant qu'elle ne le sache pas, je lui ferai la surprise si j'ai l'occasion...)

Bon.
Faisons le point.
Je suis actuellement sur les épaules d'une salamandre.

Pourvu que je ne connaisse personne dans le coin!!! oh mon dieu quelle honte...
Restons digne...un air détaché... TOUT est normal...
Y’a une écaille qui me laboure le fesse droite...

Il parle d'un parchemin...
Jamais eu droit d'avoir un parchemin moi...
C'est pas pour rien qu'on m'appelle Enki...
Mais alors…Ça veut dire…que j’ai réussit… !!!!
J’AI INVOQUE UNE SALAMANDRE !!!!!!

Maintenant je vais me faire connaître sous le nom de « Enki la grande »… non "Enki l’invocatrice »plutôt…

Il grogne et me replace sur ses épaule… j’ai parlé tout haut ?

Ca y est, elle a déjà la folie des grandeurs... Je hausse les épaules, elle couine un peu. Je crois que mes écailles sont un peu pointues, et je doute que son arrière-train apprécie... Tant pis, il est temps de lui forger le caractère, à cette effrontée. On pourrait rétorquer que je localise le caractère de la magicienne à un endroit surprenant. Ce à quoi je répondrais oui, et ta soeur?

Je cours à grandes enjambées pour abréger le voyage. Pas qu'elle soit lourde, mais quitte à entendre ses divagations de sorcière mégalo, autant que j'aie un ou deux coups derrière la cravate.

Enfin, un village paumé, une auberge. Je bondis vers la porte, j'entends un "shbong" sonore et j'ai l'impression qu'un poids quitte mes épaules... Au sens propre.

Je crois qu'elle ne passait pas la porte quand elle était juchée sur mes épaules. D'ailleurs, elle a l'air moyennement joyeuse. Pendant que je la guide gentiment vers une des tables, elle me lorgne d'un oeil mauvais en empêchant son nez de trop déverser d'hémoglobine.

Moi, ça me fait marrer, mais je me retiens de le montrer. Pour engager la conversation, je lance:

"Au fait, ça veut dire quoi votre nom à coucher dehors? "

Tiens, elle m'avait pas demandé de ne pas poser la question? Bah, quand une femme demande de ne pas faire quelque chose, l'homme doit se faire à l'idée qu'elle attend qu'il accomplisse cette chose, justement...

"J'abais debandé à ce que que tu be le debande pas justement...bais enfin si tu insistes...ça beux dire "étêtée-et-deux-bains-gauches" selon ba bére et "erreur-à -ne jabais-refaire" selon bon pére... "

Je change de pan de robe.

"Un jour peut être je t'expliquerai pourquoi...bais là, je boirais bien trois biéres pour oublier que tu b'a encore frappée.c'est toi qui paye. "

Je me retiens de rire. Au moins, sa famille est lucide, c'est déjà ça.

Je soupire, puis je me lève. Je lui dois bien ça, je l'ai presque défigurée (mais pas encore tuée, j'ai vraiment pas de veine). Je m'approche du comptoir, ouvre la bouche, la referme, tend le bras derrière le bar et attrape le tavernier qui s'était prostré dessous, terrorisé par mon apparence. Je le dépose, ouvre à nouveau la bouche, fronce les sourcils, puis la referme et m'éloigne.

Je me rapproche de mon invocatrice, qui me lance un regard interrogateur tout en achevant d'éponger son sang sur la table. J'accomplis un tour sur moi-même, lui dévoilant ma nudité totale (sauf ce que vous pensez, tas de pervers, ça ne se voit pas, c'est bien planqué sous les écailles). Elle n'a pas l'air de percuter. Je lui explique la situation:

"Je voudrais bien vous payer un verre, ma chère maîtresse, mais je suis présentemment totalement nu et donc sans la moindre piécette sur moi... Donc je propose que vous payiez les consommations, je me rattraperai une prochaine fois. "

Je lui adresse un sourire désolé, en espérant qu'elle ne tente pas de fouiller dans mes écailles, où sont planquées toutes les économies. Radin? Oui, sans doute. Je vais quand même pas payer à boire à une greluche, déjà qu'elle m'a invoqué... non mais sans blague.

"Ah, oui... "

Je fouille dans mon sac...

"Ba chaussette!...elle était là en fait. "
Je renifle et le regarde souriante. Il me renvoit à peut près toutes les expressions possibles sauf la mienne…
Et bien qu’il aille se faire voir ! Il ne sera pas dit que je n’ai pas fais d’efforts.
Je soulève ma robe.
"Ah, c'est pas la même que l'autre... "
Je l'enfile quand même…histoire de ne pas la perdre encore...

« Oui, de l’argent…ça boit quoi une salamandre ? De la lave en fusion ? Un truc du genre ? »

Je lui tend le reste de ma monnaie autant dire une misère.

« Fais ce que tu peux avec ça…sinon...ben fais lui un truc de salamandre… mais pas trop fort quand même… pas la peine de lui exploser le nez à lui aussi… »
Ajouté-je d’un ton aigre.

Je prends l'argent, dissimule mon regard désespéré et fais l'effort louable de ne pas regarder lorsqu'elle retrousse sa robe. Je me dirige vers le comptoir en comptant la monnaie. Bagatelle, évidemment, une naze dans ce genre n'est même pas foutue de gagner assez de thune pour oublier à coup de cocktails qu'elle est la pire magicienne au monde...

Je soupire, glisse discrètement ma main sous mes écailles et en extrait quelques lourdes pièces d'or. J'en pose deux sur le comptoir, demande de la bière à volonté, et montre soigneusement mes crocs pointus au tavernier pour qu'il puise courtoisement les consommations dans les meilleurs barriques et pas dans les tonneaux de pisse de chèvre qu'on sert aux premiers béjaunes qui passent.

Je retourne m'asseoir face à Enki. Elle a vraiment pas l'air maligne avec son nez aplati (par mes soins, applaudissez l'artiste), ses cheveux dans tous les sens et son air morne. Pourtant, allez savoir pourquoi, une minuscule pointe de sympathie commence à traverser les couches de méfiance et de désespoir qu'elle m'inspire. Elle a l'air complètement perdue, et je dois dire que côtoyer quelqu'un qui ne me prend pas pour son esclave personnel ni pour un monstre hideux qu'il faut renvoyer au plus vite à la niche, c'est plutôt reposant.

J'esquisse un timide rictus quand elle lève les yeux sur moi. Elle écarquille les yeux, ça a du lui faire un choc. C'est vrai que je ne suis guère agréable, mais je ne suis pas là pour jouer les nounous avec une sorcière à peine sortie de l'adolescence. Et puis, je suis d'un naturel assez impatient.

Je demande brusquement:

"Est-ce que votre cerveau (je tousse) est assez reconstitué pour vous permettre de vous rappeler la raison pour laquelle vous m'avez invoqué, maîtresse? "

Les bières arrivent. Enfin, je commençais à avoir soif. Je plonge mon museau dans ma chope et savoure l'amertume du breuvage. Boire de la lave en fusion... Elle est pas folle non? Ah ces humains... C'est fade, la lave, et ça a un sale arrière-goût, on dirait de l'endive... Non, vive la bière.

Je la regarde distraitement, attendant ma réponse.

« Me souvenir...non…désolée… peut être que si tu évites de me cogner assez longtemps, j’y parviendrais un jour… »

Je sirote la bière, fichtre ! Elle est bien meilleure que la dernière fois que j’en ai bu une…
Hum…vraiment bonne.

Il m’observe de derrière ses sourcils inexistants.

Je me demande de quoi j’ai l’air à ses yeux ?
Un repas un peu maigrelet ?
De toute façon avec une bière à la main rien ne peut être pire... et s’il lui prend l’envie de me bouffer je m’arrangerai pour qu’il ai des aigreurs d’estomac pendant 3 lunes…
Si je me souviens de la formule…

« Tu as l’air pressé de partir… tu as quelqu’un qui t’attends là-bas ? »

Non mais de quoi je me mèle?

Non, rien ne m'attend, si ce n'est l'absence d'Enki-o-shaolante, ce qui est déjà plutôt pas mal... Je sirote ma bière tranquillement, je soutiens son regard. Enfin, je lui réponds.

"Personne ne m'attend, simplement je n'aime pas ne servir à rien... Être invoqué c'est un travail à part entière, mais si on ne me donne rien à faire je ne comprends pas trop pourquoi je suis là, et... "

Ca y est, j'ai pigé. En fait, elle veut savoir si y'a une madame Kaev, et peut-être même une tripotée de Kaev juniors. Je grimace à cette seule pensée. Quelle horreur, des enfants...

Mais pourquoi elle me demande ça, au fait? Elle est quand même pas en train de me draguer, non? Manquerait plus que ça, tiens...

Je rougis, évidemment avec mon teint ça ne se voit pas (bien pratique), marmonne que je vais aller chercher d'autres bières et m'esquive précipitemment vers le bar. Elle commence à me faire peur, j'espère qu'elle ne m'a pas invoqué pour remplacer son petit ami qui se serait fait la malle... Je ne suis plus très sur de vouloir savoir exactement pourquoi je suis là, maintenant que cette possiblité s'est insérée dans mon esprit.