(Suite de ça:
http://jdremeraude.forumactif.fr/Enkidiev-c3/Desert-f72/-p77038.htm#77038 )
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ZOUIIIIIIIZZZZZ*
«
Oh non, encore un autre monde…-
Cette fois-ci y’a pas à tortiller du fion, c’est de ta faute. -
Hein ?-
Tu as piqué ta crise, le génie a eu peur, et voilà ce qui arrive, on a encore changé de plan !-
Et alors, c’est ta faute si j’ai piqué une crise, tu m’avais énervée avant !-
Même pas vrai !-
Rouar !-
Et elle est là aussi elle… Pfff… »
Je baisse les yeux et constate avec un vif plaisir que Poutchou est à mes pieds. Poutchou est ma plante carnivore. Pour ceux qui ne suivent pas depuis le début (honte sur eux) et qui devraient donc à l’heure actuelle être en train de froncer les sourcils en essayer de piger le rapport entre les voyages interstellaires, les génies et les plantes carnivores, je m’autorise un petit recadrage de la situation actuelle.
Je suis Kaev, une Salamandre. Non, je ne suis pas un visqueux amphibien noir et jaune de six centimètres de long, mais un lézard du chaos de près de deux mètres aux écailles luisantes, se déplaçant sur deux jambes et, en tant qu’élémentaire de feu, particulièrement spécialisé dans les sortilèges mettant en scène des flammes. Je suis sur ce monde suite aux aléas de mon emploi, qui est celui de créature invoquée. Les créatures invoquées, réunies dans la fameuse compagnie « Mysticisme, Invocation & Co. », ont le délicat travail de répondre aux conjurations mystiques de la masse grouillante et bête des mages et sorciers, en traversant le temps et l’espace pour se mettre à leur service. Enki-o-shaolante, dite Enki, est la… disons magicienne, pour simplifier, qui m’a invoqué. Invoqué est un bien grand mot : elle a prononcé des bribes de sortilèges en étant pétée comme un coing, et a été très surprise à la fin du maléfice en question de me voir apparaître, parce que d’ordinaire elle n’arrivait à convoquer que des belettes, et pas forcément entières. Par la suite, son archimage de père nous expédia à travers les plans et le multivers histoire de nous donner une leçon, à sa fille parce qu’elle avait crâmé son académie de magie un jour où elle avait bu plus que d’habitude (1), et à moi parce que je l’ai un peu menacé de lui roussir la gueule s’il ne me renvoyait pas illico sur mon plan d’origine. Parce qu’il faut savoir qu’Enki, si elle a bénéficié d’un monstrueux coup de bol pour avoir réussi à m’invoquer (2), n’a pas eu autant de chance pour la révocation : elle avait totalement paumé le mot de pouvoir permettant de me renvoyer chez moi.
Depuis nous sommes liés l’un à l’autre par ce contrat magique indestructible jusqu’à ce qu’on trouve ce foutu mot de révocation. De fil en aiguille, nous avons vécu des aventures aussi lamentables que possible, au cours desquelles nous avons… ok, J’AI adopté une plante carnivore vindicative et jaune ne communiquant que par grognements et aboiements, baptisée du nom de Poutchou. Je m’aperçois que j’ai omis de décrire Enki. Alors pour simplifier, imaginez la magicienne la plus lamentable de la création, pas foutue de distinguer un sort de soin d’une boule de feu. Imaginez qu’elle essaye de suivre le cliché de la sorcière sexy aux cheveux de feu moulée dans une petite robe noire avec des formes pulpeuses uniquement autorisées dans les histoires d’Heroïc Fantasy. Imaginez qu’elle échoue lamentablement, avec son amas de broussailles orange et sa robe distendue ne permettant même pas de distinguer ses œufs au plat d’un quelconque pli du tissu. Imaginez la personne la plus romantique, crédule, lente à la comprenette, contestataire et chiante que vous pouvez vous figurer. Ben vous serez encore loin de pouvoir visualiser Enki-o-shaolante May’esa. Parce que elle, elle… c’est vraiment quelque chose. Je prie régulièrement les Puissances pour qu’il n’y en ait qu’une seule dans tout le multivers, ou alors qu’on m’achève avant que je découvre qu’il y en a plusieurs.
De fil en aiguille, donc, nous avons arpenté plusieurs plans, afin de trouver le moyen de rentrer chez nous, moi dans le Plan du Feu, et Enki dans les Cinq Royaumes, son plan d’origine. Le dernier en date était un désert pourri où nous avons finalement rencontré un génie qui nous a expédié… ailleurs.
Où au fait ?
«
Oh mais je connais cet endroit !!-
Pardon ?-
On est à Ankh-Morpork, sur le Disque Monde !-
Le quoi ?-
Inculte ! (3)
-
Tu es déjà venue ?-
Voui, j’y ai fait un stage chez mon correspondant. -
Un stage de magie ?-
Oui.-
Et tu as appris des choses ?-
Oh oui, plein !-
Ah. On est pas dans la tourbe. -
Hééé !-
Et c’est quoi ce monde ?-
Le Disque Monde, c’est un endroit extraordinaire !-
Quoi, c’est toujours une planète pourrie qui tourne autour d'un soleil qui brille non ?-
Non. C’est un disque (d’où le nom) avec un soleil qui tourne autour, posé en équilibre sur quatre éléphants, qui sont eux-mêmes posés sur la carapace d’A’tuin, la tortue céleste.-
…ok, tu saurais pas où il y a un hôpital dans le coin ? Je pensais pas que ça cognait à ce point sur ton neurone les voyages interstellaires…-
Tsss…-
Bon, en admettant que tu ne sois pas encore en plein délire, puisque tu sais où on est, tu sais où on doit aller non ?-
Euh…-
Là normalement tu vas me sortir le nom d’une taverne.-
…-
Parce que s’il y a un endroit dans ce monde que tu dois connaître c’est la taverne du coin.-
Comment tu le sais ?-
Je commence à te connaître.-
Pfff… Allez viens… »
Et Enki et moi de partir à la découverte des ruelles d’Ankh-Morpork.
«
C’est vrai cette histoire d’éléphants et de tortue ?-
Tout ce qu’il y a de plus vrai.-
Oh c’est quoi là-bas ?-
L’université de l’invisible. C’est l’école de magie, avec la bibliothèque. C’est là que j’ai fait mon stage.-
Pourquoi on n’y va pas, les mages pourraient nous renvoyer non ?-
Le bibliothécaire est un orang-outan. -
…mais qu’est-ce que c’est que cette ménagerie ??-
Cherche pas.-
Et ça, c’est quoi ?-
La guilde des assassins.-
Intéressant…-
Tu t’en approches pas à moins de cinq cent mètres, ordre direct.-
Pfff… Même pas drôle.-
Et voilà la taverne !-
Youhouuu… »
Et nous entrons dans un rade de bouseux primaire et nauséabond. En me voyant passer la porte en portant Poutchou, les gens jettent un œil soupçonneux à leur bière, puis haussent les épaules. Ils en ont vu d’autres (4). Enki jette un œil inquisiteur dans la salle, puis son expression s’éclaire en remarquant un rouquin efflanqué, en robe de mage rougeâtre à paillettes, sirotant mornement un liquide qui n’a de commun avec la bière que le fait de tenir dans un verre, avec un chapeau rapiécé posé sur la table.
«
Rincevent ! »
Le mage cligne des yeux, regarde autour de lui et ses yeux se fixent (après plusieurs essais) sur Enki.
«
Kiki ! »
Et les deux mages de se tomber dans les bras, sous mon expression effarée.
Dans un monde plat et circulaire porté par un zoo géant à travers le multivers, dans une ville emplie d’endroits bizarres et de gens qui ne le sont pas moins, dans une taverne puante avec des types qui se trimballent avec des pagnes en fourrure et des épées, et où dans un coin un Nain est en train de donner la chasse à un rat en salivant partout, dans un monde où Enki a déjà des amis qui ont l’air aussi impressionnants qu’elle, je me tourne vers mon invocatrice et je lui pose la seule question intelligente qui peut traverser le cerveau d’un être en pleine possession de ses facultés intellectuelles.
«
Kiki ?!? » interrogé-je, goguenard.
Enki pique un fard.
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(1) Au moins un verre et demie.
(2) De son côté, elle a étrangement tendance à considérer que c’est sans doute le pire coup de malchance de sa vie.
(3) Etrangement quand Enki prononce « Disque Monde » en ma présence, dans les quatre mots qui suivent il y a « inculte ». En HRP c’est encore pire.
(4) Comme un coffre avec plein de pattes.